Chapelle Jeanne d'Arc / Thouars 2006

description

lien

Après l'effort

Chapelle Jeanne d'Arc / Thouars 2006

Une chapelle, fût-elle désaffectée, garde toujours la mémoire de sa fonction passée ; tout y contribue, à commencer par son architecture, et rien de ce qui s’y passe ne saurait faire abstraction de ce pour quoi elle fut construite. En devenant centre d’art, la chapelle Jeanne d’Arc, dans ses espaces et par son architecture, rappelle constamment sa nature première et il s’avère difficile pour quiconque l’investit aujourd’hui, de ne pas en tenir compte. Que la présente exposition se réfère principalement à la question du sport, pour inattendu que cela puisse paraître dans ce contexte, ne saurait pourtant véritablement étonner. En effet, dans le maniement d’un certain nombre de signes communs autant que par leur nature fortement rituelle, le sport et le monde religieux, sans que jamais le premier ne serve de substitut au second, présentent forcément quelques analogies, suffisamment en tout cas pour trouver plus de sens que de simples circonstances à cette confrontation paradoxale.

L’abstraction géométrique a toujours balancé entre deux issues en apparence divergentes : d’un côté la sublimation du tableau autoréférentiel, de l’autre la confrontation au contexte, généralement celui de l’espace public. Quand on eut fini de croire au sublime, à l’absolu et à la pureté, quand François Morellet d’abord, les artistes manieurs de contraintes extra picturales un peu plus tard, eurent reconnu au hasard le rôle essentiel qui était le sien, les vieilles catégories finirent de voler en éclat, laissant le champ libre à toutes les expérimentations, à toutes les superpositions. C’est dans cette liberté joyeusement retrouvée qu’œuvre Éric Gouret. Il sait à la fois utiliser les outils de la tradition constructiviste, la grille en particulier ; mais il va également chercher dans les pratiques sociales les plus actuelles, le sport par exemple, la source de ses constructions, les motifs de ses agencements. Nul n’ignore l’évidence des analogies visuelles entre les tracés des terrains de sport, foot, basket, hand, tennis…curling, et l’apparence des tableaux de l’abstraction géométrique. Ce n’est toutefois pas sur cette seule, et insuffisante, ressemblance, que Gouret fonde son travail. Ce qui est en jeu, ici, c’est plus précisément la relation de l’art et du réel, fût-il, cet art, le plus épuré, fût-il, ce réel, le plus ludique et le plus populaire. De ce croisement, aussi risqué que fécond, l’artiste tire des propositions variées que, dans un second temps, il confronte à l’architecture. Il l’a fait pour les serres d’un jardin public, la passerelle reliant deux bâtiments d’un lycée, une verrière art déco, les murs et les ouvertures de plusieurs centres d’art ; il le tente aujourd’hui dans une chapelle désaffectée. En posant au sol de la chapelle Jeanne d’Arc une piste de curling aux lignes déstructurées, Éric Gouret avance l’hypothèse que l’art, aujourd’hui –toujours ?-, se tient à la jonction des anciennes pratiques rituelles et des activités sociales les plus familières. Que l’objet, visuellement, ressemble à du Kandinsky, mais revisité par Carl André, et au-delà de l’aimable clin d’œil, cela rappelle aussi que l’art le plus en phase avec les réalités du monde n’oublie jamais de s’interroger sur ses propres constituants et sur sa nature spécifique. Des deux autres pièces proposées à Thouars, l’une se réfère également au sport (sous la forme d’un but de hand-ball) et, comme la piste de curling, souligne sa propre grammaire artistique en revêtant chaque carré du filet d’un dessin géométrique redoublant la grille à laquelle il se superpose. La troisième proposition, fondée elle aussi sur l’idée du déplacement, consiste, par un programme informatique, à ramener sur le sol de la crypte, c’est-à-dire dans l’ombre, les parties manquantes des vitraux de la partie supérieure de la nef. On voit bien ainsi comment, et parce que le monde du sport semblait si éloigné des sphères du religieux, l’art s’engouffre dans la brèche et, en se frottant à chacun de ces univers, se fraye un chemin qui ne se réduit ni à l’un ni à l’autre mais qui, au contraire, permet une expérience beaucoup moins insouciante qu’il n’y paraît.

Jean-Marc Huitorel / 2006